J19.
Dernière journée au Japon.
Adieu, toilettes chauffantes et trains ponctuels ! Je vais enfin pouvoir remanger des mangues à moins de vingt euros l’unité et des pêches à moins de dix !
Photo : le dôme d’Hiroshima, l’un des rares bâtiments à être plus ou moins resté debout après l’explosion de la bombe, au milieu d’un jardin rempli de monuments prônant la paix et désarmement nucléaire.
J18.
Après les chats, les renards, les singes et les chevreuils, direction Okunoshima, l’île des lapins.
Mon compagnon de voyage n’ayant jamais été emballé à l’idée d’aller voir des animaux, il m’aura fallu déployer toute ma ruse pour lui faire accepter cette ultime visite. Ainsi, hier matin, pendant qu’il dort encore, je remplis bruyamment mon sac et quand il entrouvre les yeux, je lui annonce :
– Tu fais ce que tu veux, mais moi j’y vais.
Il soupire, se plaint, dit que je vais me perdre, qu’il va devoir appeler la police, et me demande de l’attendre. Mission accomplie.
Okunoshima hébergeait pendant la seconde guerre mondiale une fabrique secrète de gaz toxique et aujourd’hui, les descendants des lapins de laboratoire se promènent tranquillement parmi les ruines de l’usine. Ils n’ont aucun prédateur et leur vie se résume à faire la sieste et à attendre d’être nourris par un touriste.
En hiver, les lapins ont un peu plus faim, et il n’est pas rare de voir des gens allongés par terre se faire recouvrir par une marée de ces petites boules de poils cherchant à manger. Hier, les bestioles étaient plutôt tranquilles, mais il m’est arrivé une demi douzaine de fois de voir arriver, sur un sentier en plein milieu de la forêt, un lapin courant à toute allure dans l’espoir que je lui donne quelques granulés.
Demain, retour à Tokyo pour être prête à redécoller mercredi. Si quelqu’un veut que je lui ramène une spécialité locale (je pense par exemple aux KitKat thé vert), c’est le moment !
J17.
Décidément, nous avons le chic pour débarquer dans les villes au bon moment. À Kyoto, nous étions arrivés le jour de lancement du festival Gion Matsuri, et ce soir, à Hiroshima, nous avons pu nous consoler de notre absence aux feux d’artifice du 14 juillet en contemplant ceux du port d’Hiroshima (de loin, sous la pluie, du haut d’une passerelle et à trois kilomètres de l’événement, si j’en crois mes savants calculs, mais c’est déjà ça).
Notre arrivée tardive ne nous aura pas permis de visiter grand-chose en dehors du fameux « centre pokémon » d’Hiroshima, qui proposait une collection assez honorable de peluches et de goodies.
Prochaine étape, l’île des lapins !
J16.
Notre traversée du Japon jusqu’à Kyushu était principalement motivée par une chose : la visite de Hashima, aussi connue sous le nom de Gunkamjima ou Battleship Island, une île abandonnée à 18 kilomètres de Nagasaki.
Ancienne exploitation de charbon, elle fut brièvement le lieu le plus densément peuplé au monde et la première tour en béton du Japon fut construite sur son sol en 1919. L’île est minuscule – 480 mètres sur 160, mais elle a hébergé jusqu’à 6000 personnes. On y trouve même les ruines d’un hôpital, d’un temple et d’une école primaire.
Nous n’avions malheureusement pas libre accès aux bâtiments. La visite est limitée à un tout petit sentier coulé dans du béton et notre guide ne nous a pas lâchés d’une semelle pendant quarante minutes.
L’ambiance post-apocalyptique valait en tout cas le détour et nous a insufflé l’envie de faire un jour un tour à Prypiat, la ville abandonnée aux alentours de Tchernobyl.
Fait amusant : notre guide, peu avare de détails lorsqu’il était question de l’histoire de l’île, n’a néanmoins pas mentionné une seule fois l’exploitation et la torture des travailleurs forcés coréens sur Hashima pendant la seconde guerre mondiale. Ça ne devait pas être assez vendeur…
J14.
Pour la première fois, je n’ai pas réussi à rédiger mon compte-rendu le soir même : je me suis endormie tout de suite, complètement épuisée. Je commence à ressentir les effets de deux semaines de longues marches quotidiennes par temps caniculaire et humide. Osaka elle-même n’éveille plus en moi l’intérêt que pouvaient avoir les premières villes explorées au Japon. J’ai parcouru trop de temples, châteaux et salles d’arcade pour avoir envie d’en visiter d’autres, le trio alimentaire ramen-onigiri-edamame commence à me peser et les bizarreries locales me paraissent désormais trop familières pour être distrayantes. Bref, je pense que nous aurions dû nous cantonner à deux semaines de voyage.
Je suis actuellement dans le train pour Nagasaki où nous avons prévu de visiter une île abandonnée depuis les années cinquante, ce qui promet au moins d’être original.
J13.
Terminé, Kyoto ! Ce soir, je dors à Osaka, une autre ville réputée pour son côté traditionnel. Mais avant de gagner mon nouveau logement, j’ai fait un petit détour par Nara, un sanctuaire voisin où les cerfs se promènent à leur guise.
Si elles n’aiment pas particulièrement se faire caresser, ces adorables bestioles raffolent des biscuits vendus à l’entrée et vous suivront jusqu’à l’autre bout du parc lorsqu’elles vous verront en acheter. Ma plus grosse erreur a été d’ouvrir le paquet devant un attroupement de ces quadrupèdes. En quelques secondes, je me suis retrouvée encerclée par une dizaine de cerfs. Certains se sont mis à brouter mon débardeur et les sangles de mon sac, d’autres à balancer dangereusement leurs bois en direction de mes yeux. Je m’en suis sortie in extremis en prenant mes jambes à mon cou tout en lançant des biscuits derrière moi.
J12.
Aujourd’hui, nous avons laissé au placard nos vielles frusques de voyageurs pour revêtir des yukatas, tenues d’été traditionnelles.
Au Japon, il n’est pas rare de croiser des habitants en kimono dans les rues, surtout en cette période de festivals. En tant qu’occidentale, je craignais un peu de les imiter, ne voulant pas paraître déguisée ou être accusée de faire de l’appropriation culturelle, mais il semblerait que les japonais ne perçoivent pas les choses d’un si mauvais œil que ça.
Une toute petite dame à l’air sévère m’a donc habillée ce matin. Devant la multiplication des couches (une sous-robe en coton, cinq ou six ceintures souples et rigides, le Yukata lui-même, plusieurs petits chiffons pliés et insérés je ne sais où), j’ai compris que j’allais souffrir. La température avoisinait les trente-cinq degrés et, saison des pluies oblige, l’air est très humide, ce qui rend la chaleur encore plus insupportable. Mon Obi, ce gros ruban rose noué autour de la taille, m’empêchait de respirer à ma guise et l’étroitesse de la partie inférieure du vêtement me contraignait à n’avancer que par tout petits pas. Pour couronner le tout, les employées m’ont empêchée de récupérer mon grand sac à dos de baroudeuse et m’ont forcée à m’encombrer d’un sac à main à fleurs dans lequel j’ai eu à peine la place de glisser une bouteille d’eau. Mon compagnon de voyage, qui n’a jamais réussi à marcher avec des tongs de sa vie, n’a eu d’autre choix devant l’insistance des vendeuses que de chausser les geta en bois assorties à son costume et de quitter les lieux sans baskets de secours.
C’est avec tout ce harnachement que nous sommes partis pour le le sanctuaire de Fushimi inari, célèbre pour ses allées de Torii rouge vermillon. Notre passage dans les escaliers du métro a été particulièrement bruyant et résonnant, et V. a manqué plusieurs fois d’y perdre ses chaussures, mais il a semblé s’habituer à ce curieux accessoire au bout d’une heure ou deux. En ce qui me concerne, j’ai cru mourir de chaud sur l’escalier interminable qui menait au sommet de la montagne. Mes foulées réduites m’obligeaient à monter chaque marche en tout petits pas frénétiques pour ne pas bloquer le passage. Quand j’ai réalisé au bout de vingt minutes d’ascension que nous n’avions même pas effectué le cinquième du trajet, j’ai fait demi-tour et nous sommes allés rendre nos tenues trempés de sueur (mais nos fronts dégoulinants ne nous ont pas empêchés de recevoir une pluie de compliments et de demandes de selfies, ça fait toujours plaisir !).
J11.
Finalement, en dépit de nos courbatures encore bien tenaces, nous avons survécu aux vingt minutes de marche sur le chemin pentu qui menait au parc des singes. Le plus difficile à supporter ici reste la chaleur : le temps est caniculaire. Je me suis pour ma part adaptée aux coutumes locales et je n’hésite plus à déployer mon parapluie-ombrelle au moindre rayon de soleil.
Le parc accueille uniquement des macaques, seule espèce à habiter le Japon. Ils se promènent en liberté dans une zone plutôt vaste et retournent dans la forêt à la tombée de la nuit. Au sommet de la colline, les visiteurs peuvent s’enfermer dans une cage pour distribuer de la nourriture aux singes. Ceux-ci ne se pressent pas vraiment au portillon et certains se payent même le luxe de pousser mollement de votre main la nourriture qui ne leur plaît pas. J’ai eu l’insigne honneur d’être approchée par un bébé macaque qui, dès son apparition, est devenu le centre d’attention général, et mes offrandes de cacahuètes ont été saluées à plusieurs reprises par des cris d’admiration de la part des autres touristes.
Nous avons déniché en nous promenant à Kyoto un magasin de location de yukatas et en avons réservé un chacun pour demain. Photos à venir.
J10.
Pour une fois, j’ai fait le choix de louer une chambre chez un habitant plutôt qu’un logement entier et je ne le regrette pas. Notre hôte nous préparait un délicieux petit déjeuner chaque matin, et c’est le ventre plein que nous avons fait nos adieux au Mont Fuji depuis le ponton d’observation de la gare.
Le train nous a ensuite emmenés à Kyoto en quatre ou cinq heures. Percluse de courbatures comme je l’étais après notre randonnée de la veille, cet immobilité forcée m’a fait du bien. Je boîte encore ce soir à la simple vue d’un escalier, et même la marche la plus lente me fait souffrir.
Une fois sur place, le propriétaire de notre logement nous a appris que nous arrivions à temps pour Gion Matsuri, l’un des principaux festivals de Kyoto, qui s’étale sur plusieurs jours et qui met en scène une procession de chars dans l’un des plus vieux quartiers de la ville. Malgré notre fatigue, nous nous sommes donc risqués à effectuer une petite promenade nocturne. Certaines ruelles étaient noires de monde et beaucoup de flâneurs avaient revêtu un kimono pour l’occasion – ou plutôt, un yukata, son équivalent estival, plus léger, en soie plutôt qu’en coton. J’aurais bien aimé en porter un également pour ne pas déparer mais le fait d’avoir un sac à dos pour tout bagage interdit tout achat superflu.
Demain, je devrais visiter un parc où les singes se promènent en liberté. J’espère que mes vieilles douleurs auront disparu d’ici-là car le sentier de randonnée qui y mène est, paraît-il, plutôt sportif…
J9.
Ascension du mont Fuji.
Je suis complètement épuisée, alors que je n’ai même pas atteint le sommet.
J’ai eu droit à de la pluie et à un brouillard épais qui masquait toute la vallée. Cependant, si je n’ai pas beaucoup profité du paysage, la brume avait au moins l’avantage de nous isoler des autres randonneurs.
En rentrant en ville, le soir, complètement lessivés, nous avons croisé un autre français qui partait pour le Mont Fuji encore moins bien équipé que nous : tout seul, en short, sans bâtons ni lampe frontale. De nuit, dans le brouillard, je vois mal comment il pourra arriver au sommet. Il voulait voir le lever du soleil. J’espère qu’il est encore vivant.