Il m’a fallu patienter des années afin d’avoir l’occasion de jouer à Heavy Rain, la faute aux exclusivités console. Peut-être, pour cette raison, en ai-je attendu un peu trop, à force de voir passer des critiques élogieuses à son sujet.
La première heure de jeu ne m’a pas fait une très bonne impression, d’abord pour la maniabilité très laborieuse des personnages. Ceux-ci sont lents, poussifs, ne courent que quand les scénaristes l’ont décidé, se heurtent mollement aux éléments du décor et se coincent un peu partout lorsque l’on tente de les diriger, même dans des situations urgentes. Par ailleurs, la gestion de la caméra n’est pas laissée à notre initiative, et même si les choix de cadrages imposés au joueur apportent à Heavy Rain une dimension cinématographique appréciable, l’alternance champ/contrechamp s’avère dans les faits fort peu pratique car elle vous oblige, lorsqu’elle survient, à user de vos réflexes pour inverser le plus vite possible la direction de la marche sous peine de voir votre personnage faire demi-tour.
Par ailleurs, le scénario commence plutôt mal, déversant à la pelle dialogues creux et clichés de famille-unie-et-heureuse dans sa grande maison ensoleillée. Les deux enfants du couple sont stupides, mal élevés et insupportables, ce qui ne poserait pas de problème si ces traits de personnalité avaient été volontairement induits par les scénaristes. Malheureusement, ceux-ci tentent de faire passer ces deux petits crétins pour d’adorables créatures auxquelles nous ne pouvons que nous attacher. Autant dire qu’Heavy Rain s’est montré incapable de me faire ressentir la moindre empathie à leur égard et que tout ce qui pouvait advenir d’eux par la suite m’indifférait totalement. Dommage, pour un jeu censé faire ressentir des émotions au joueur.
Heureusement, au fil du temps, les choses ont progressivement commencé à aller mieux. Le scénario en lui-même ne s’est pas substantiellement amélioré : de catastrophique, il s’est peut-être tout au plus élevé au rang de médiocre, n’évitant ni l’écueil des clichés, ni celui des incohérences – j’y reviendrai plus tard. Si Heavy Rain avait été une série policière, ç’aurait été une série B et je n’aurais pas persévéré après le deuxième épisode. S’agissant d’un jeu, les mécanismes additionnels ont cependant réussi à changer la donne.
La grande différence avec le cinéma, c’est que vos réussites et échecs ont un vrai impact sur le scénario. De banales péripéties qui m’auraient à peine inquiétée dans un film – leur aboutissement étant toujours trop prévisible – ont ici suscité chez moi une réelle implication émotionnelle, car dans Heavy Rain, l’échec est toujours envisageable. Vos personnages peuvent mourir : dans ce cas de figure, vous n’avez plus accès aux autres scènes les impliquant et vos chances de parvenir à une issue heureuse s’amincissent.
Le gameplay à base de QTE est plutôt bien pensé et les scènes d’action sont finalement assez prenantes. On peut cependant reprocher au jeu la difficulté ponctuelle de certaines combinaisons de touches (qui semblent avoir été conçues pour des octopus et pas des êtres humains). De la même façon, les conséquences de certains raccourcis ne sont pas toujours évidentes (il m’est arrivé de tirer sur un personnage alors que je voulais discuter avec lui, les deux possibilités étant affichées côte à côte sur l’écran sans plus d’indications sur leurs effets respectifs). Et, en cas d’erreur, impossible de revenir en arrière : le mal est fait.
Si Heavy Rain a finalement réussi à me faire ressentir des choses, il ne s’est agi que d’émotions assez basiques et instinctives. L’enjeu principal ne m’a jamais en lui-même beaucoup importé, mais certaines scènes ont réussi à me communiquer un véritable malaise : choc, dégoût, sensations d’enfermement ou d’oppression. Je pense que ce type d’émotion primaire est plus aisé à susciter chez le joueur que l’intérêt pour le scénario, mais ce point positif mérite néanmoins d’être relevé.
L’histoire en elle-même souffre de trop nombreux défauts d’écriture pour que je puisse en faire l’éloge : des mystères majeurs ne sont jamais expliqués, des personnages qui ne se sont jamais rencontrés se connaissent soudain comme par magie et, à la lumière du twist final, certains comportements perdent tout leur sens. En interview, David Cage a tenté tant bien que mal de combler ces fossés scénaristiques… Malheureusement, ses explications m’ont semblé bien trop maladroites pour que je puisse décemment penser qu’elles avaient été prévues dès le début. Par ailleurs, une oeuvre devrait se suffire à elle-même, et si la majorité des joueurs relèvent une bizarrerie ou une incohérence au sein d’une histoire, c’est que les scénaristes ont échoué à la justifier.
Il est assez aisé de créer du mystère en accumulant les scènes inexplicables. Ce qui est vraiment respectable, c’est de savoir ensuite résoudre les nœuds de l’intrigue de façon satisfaisante, et Heavy Rain ne remplit malheureusement pas cet objectif.
Jeu terminé le dimanche 2 septembre 2018.
Ma note : 6/10.